Parce qu’il nous semble important de vous parler du sujet des « proches aidants », nous avons demandé à Awa Camara, mère d’un enfant en situation de polyhandicap et femme engagée de nous expliquer davantage ce que ce concept recouvre. Qu’est-ce qu’un « proche aidant » ? Quelles difficultés cette situation implique-t-elle ? Des aides sont-elles possibles ? Autant de questions qu’Awa a bien voulu partager avec nous, le temps d’une interview. 1000 mercis à elle pour ce partage d’expérience !
A partir de votre expérience et dans vos mots, pouvez-vous définir la notion « d’aidant familial » ?
Je dirais qu’être aidant, c’est aider, s’occuper, accompagner et soutenir une personne de son entourage qui peut être dépendante, atteinte d’une maladie chronique ou d’un handicap.
Dans mon cas, avec mon conjoint, nous sommes les proches aidants de Yanis. Nous lui apportons régulièrement une aide dans tous les actes de la vie quotidienne. J’aime bien la notion de proches aidants contrairement à celle « d’aidant familial », car elle me ramène un peu plus au lien qui me lie à mon fils. Un lien de proximité, un lien physique, dans le toucher et dans la douceur. “Je suis proche de lui”, dit-elle.
La notion d’aidant familial me renvoie plus au cercle familial or tous les aidants ne sont pas forcément de la famille de l’aider bien que nombreux soient dans ce cas (83 %). Certains sont des amis ou des voisins, par exemple. Finalement la terminologie est dense. J’ai entendu il y a quelque temps le terme de « proches aimants ». Ça me va bien aussi !
Quelles sont les difficultés que rencontrent généralement les aidants familiaux ou les proches aidants ?
Quand Yanis est né j’étais tiraillée entre un sentiment de culpabilité, de colère parfois et beaucoup d’incertitudes. Insidieusement, la fatigue, le stress, et parfois même la méfiance envers les médecins et professionnels s’est installée. Parallèlement, je devais honorer des rendez-vous médicaux pour Yanis en plus de ses nombreuses hospitalisations et de toutes les démarches administratives à effectuer.
Le handicap de Yanis a été un vrai bouleversement. Mes projets ont été remis en cause et il a fallu trouver une organisation familiale et professionnelle me permettant de ne pas mettre de côté ma vie personnelle et sociale. Trouver le bon équilibre pour parvenir à être sereine et tenir sur la longueur est encore maintenant mon challenge.
Le rôle que nous occupons auprès de nos proches nous impacte et a des conséquences multiples dans tous les domaines de la vie sociale (sphère relationnelle, vie professionnelle notamment des femmes, participation à la vie sociale), sur la santé physique et psychologique (anxiété, stress, problème de sommeil, mal de dos, comportement à risque), sur la famille ( fragilisation globale, couple parental, fratrie, vie sentimentale, relations intrafamiliales) et sur nos ressources (moyens, surcoûts, équilibre financier de la famille).
Toutefois, j’aimerais préciser que l’aidance n’est pas forcément toujours synonyme de difficultés ; elle peut être également associée à des aspects positifs.
C’est un engagement fort de solidarité familiale qui peut permettre de renforcer des liens avec la personne aidée, qui peut être gratifiant et qui permet également d’acquérir une expérience, des connaissances, et des compétences qui peuvent être valorisées !
Le fait pour les proches aidants de ne pas se reconnaître dans ce rôle entrave leurs possibilités d’accéder aux droits et aux aides qui leur sont destinées.
Étonnamment, vous dîtes qu’il existe beaucoup d’aidants qui ne savent pas qu’ils sont aidants. Comment se reconnaître « aidant » ?
Nul n’est préparé à cette expérience qui est souvent très floue au départ. Il y a 8 à 11 millions d’aidants en France (Baromètre 2019, Fondation April et BVA). Pourtant seulement 35% des Français ont entendu parler de ce « statut » et plus de la moitié (63%) des aidants ignorent qu’ils le sont.
Je pense qu’une des raisons pour laquelle certains aidants ne se reconnaissent pas en tant que tels, c’est qu’ils estiment que l’aide qu’ils apportent est naturel. C’est évident pour eux d’aider leurs proches. Ils se sentent avant tout comme des mamans, des enfants, des conjoints.
Le sentiment de culpabilité peut être aussi ressenti par certains d’entre eux mais aussi un sentiment de devoir, d’obligation morale. Des proches aidants minimisent également l’aide qu’ils apportent alors qu’elle est souvent essentielle et sans elle, leurs proches ne pourraient dans certains cas pas rester à domicile.
Existe-t-il des aides et des accompagnements spécifiques pour les aidants familiaux ?
Oui, il existe des aides et des accompagnements spécifiques pour les proches aidants mais ce n’est pas forcément facile de frapper à la bonne porte. Par ailleurs, la charge mentale de certains proches aidants est souvent importante. Certains expriment le fait qu’ils n’ont pas le temps de s’occuper de chercher des infos car ils sont trop pris par le quotidien.
Dans les permanences que l’on met en place via notre association on se rend bien compte que les proches aidants ont besoin d’information, de ressources et de formations. Ils peuvent avoir besoin de reconnaissance, de soutien humain et d’écoute, de pouvoir d’aménager leur temps de travail et/ou de bénéficier du télétravail mais également de rencontrer, de partager avec d’autres proches aidants d’aide financière, matérielle, technique est également un réel besoin. Aujourd’hui, la condition des aidants est un sujet de société.
Des conseils issus de votre expérience que vous souhaiteriez donner aux parents qui sont confrontés au handicap de leurs enfants ?
La diversité des profils des parents d’enfants en situation de handicap et des situations d’aide, appellent non pas une réponse unique mais au contraire le déploiement d’une large palette d’actions pour les soutenir au mieux.
J’ai pu, par le passé, traverser des moments de grande fatigue. Il m’était parfois difficile de prendre du recul sur ce que je vivais. Aujourd’hui, je me dis qu’il est nécessaire de prendre de la hauteur pour y voir plus clair sur sa situation. Ce n’est pas évident mais cela peut être intéressant pour le proche aidant d’identifier de quoi il a besoin, qu’il s’autorise à se questionner : de quoi il a envie, de quoi il se sent capable, d’exprimer ce qui est difficile à vivre, à faire au quotidien, comment il peut s’y prendre pour faire à nouveau des choses qu’il aimait faire…
Je pense que ce questionnement peut aider à cheminer et à faire des choix. En tous cas de se rappeler qu’on a le choix. Parfois on peut avoir envie de dire « stop », de déléguer au reste de la famille, de la fratrie, on peut avoir envie de partir en voyage ou d’aller voir un concert.
Notre santé passe souvent au second plan, un mal de dos, des dents qu’on ne soigne pas…Cela peut au bout d’un moment avoir des répercussions importantes. Je me dis souvent que c’est important de prendre soin de soi pour mieux prendre soin de l’autre.
Faire appel à notre réseau personnel, à l’entraide familiale mais aussi au réseau professionnel et aux aides disponibles peut aider certains proches aidants de même que faire appel aux solutions de répit existantes (accueil temporaire, vacances, garde à domicile).
Si vous ne deviez retenir qu’un seul enseignement de votre parcours de proche aidante, lequel retiendriez-vous ?
Ce serait la patience. A la base ce n’est pas une de mes qualités premières. La forme de handicap qu’a Yanis est assez lourde.
Yanis est un enfant plein de vie, il vocalise beaucoup et il a régulièrement des éclats de rire assez communicatifs. Ses premiers sourires sont arrivés très tard, ses crises d’épilepsie ont longtemps gêné ses interactions avec nous et les autres, puis les progrès qu’il a pu faire ont été très lents. J’ai dû apprendre à rester calme dans des situations de tension importante. Il nous a également fallu beaucoup de patience et de pugnacité pour s’adapter aux longues et régulières hospitalisations de Yanis, aux opérations qu’il a subies.
Je crois également que pour mener à bien mes activités professionnelles, cet enseignement a été essentiel. Je suis parfois anxieuse mais avec le temps j’essaie de prendre les choses un peu plus paisiblement, un peu plus sereinement.
Mon parcours d’aidante n’est pas encore terminé. Mon fils n’a que 12 ans. Il est possible que d’autres difficultés, d’autres opérations, de nouvelles organisations s’invitent dans notre quotidien. Mais je sais aussi que je ferai encore de belles expériences et de riches rencontres. De nouveaux enseignements en découlent sûrement.
En savoir plus sur les aides possibles en tant que « proche aidant » : ICI
Pour en savoir plus sur les projets d’Awa Camara, cliquez sur les icônes :