Chère équipe de l’Optimisme,
Par mon témoignage, j’aimerais apporter ma petite pierre à l’édifice pour étayer la réflexion sur ces thèmes parfois controversés des HP, des Zèbres, des multi-potentiels que vous abordez souvent sur votre site (que j’adore par ailleurs) ! Je m’interroge beaucoup et souhaiterais savoir si je suis la seule à ressentir une sorte de pression autour de ces termes ?
J’ai le sentiment que ces catégories répondent à une « urgence identitaire » plus globale et j’ai conscience que mon propos est peut-être à contre-courant de ce qu’on en dit habituellement. Pour autant, mon message vient du cœur et de ce que je ressens profondément.
Un peu de moi…
Je m’appelle Alice, j’ai 39 ans et je gère une entreprise de conseil en stratégie et management bienveillant depuis bientôt 6 ans. Mon projet est aujourd’hui de m’éloigner de la capitale, d’acheter un food truck éthique pour proposer de la nourriture saine et équilibrée tout en voyageant dans notre beau pays. Une reconversion et un changement de vie que j’aborde avec beaucoup…d’optimisme !
Un parcours atypique comme tant d’autres
Je fais partie de ceux qui ont entendu très souvent avoir un parcours « atypique ». Avant d’être entrepreneure, j’ai étudié la philosophie, l’histoire de l’art et les mathématiques…Car tous les sujets me passionnent ! J’ai travaillé dans de grands groupes et occupé divers postes à responsabilités dans le management et les RH notamment. Mais j’ai aussi voyagé pour découvrir d’autres métiers : enseignante de français en Thaïlande, responsable d’une chambre d’hôtes en Russie, vendeuse dans un magasin bio à Tokyo…
Une touche-à-tout aux allures de « Zèbre » (apparemment)
Je suis ce qu’on peut appeler couramment une « touche-à-tout » avec une curiosité insatiable, ivre d’apprentissages et de connaissances…Mon sens exacerbé de la justice a pu me causer bien des déconvenues professionnelles par moment : incapable de me taire, de jouer les jeux de pouvoir, de suivre les non-sens des entreprises…Je m’asséchais de l’intérieur du manque de franchise et d’authenticité de ce monde !
Je le reconnais aussi : je suis parfois à fleur de peau, avec des émotions en montagnes russes. J’ai souvent ressenti ce fichu syndrome de l’imposteur. Je pleure facilement soit parce que je trouve la vie merveilleuse, soit parce que je ne supporte pas que l’humain soit oublié au profit d’un système dans lequel je me sens en total décalage depuis l’enfance.
Et puis un jour, le mot a été lancé, comme ça, au détour d’une conversion avec un client : « De toute manière, vous êtes Zèbre ! » On m’assénait une évidence, une opinion, gratuitement, de l’extérieur sans que je ne demande rien. Et ces mots ont résonné : « Vous êtes…vous êtes…vous êtes…Zèbre !» Le verbe « être » dans la bouche d’un autre a ici son importance…
Mon cercle s’y est mis aussi…
Ce mot, je ne le comprenais pas tellement. Je me suis renseignée et j’ai découvert toute cette littérature : les HP, les hypersensibles, les multi-potentiels, la douance…Des termes dont les contours me paraissent encore flous aujourd’hui…
Surtout, je rencontrais de plus en plus, dans mon cercle professionnel et amical, des personnes pour qui cette découverte avait été une révélation : « Ma vie a changé depuis que je sais que je suis Zèbre ! » entendais-je tout autour de moi.
Et moi ? Rien ! Je l’ai pris telle une information comme une autre (venue d’un Autre) car même si je me suis très souvent sentie incomprise dans mon entourage, je sais que ma complexité intérieure, l’immensité de ce que je suis réellement ne se résumera jamais en un seul et unique mot, tout pertinent soit-il pour d’autres. Il est pour moi comme une petite boîte remplie de renseignements sur laquelle je souhaite conserver la liberté de l’ouvrir ou non, quand bon me semble, à des fins de me nourrir et de grandir.
J’étais heureuse que des amis puissent se (re)trouver, mieux se connaître à travers ces nouvelles appellations et ressentir un soulagement sur ce qu’ils sont. Me concernant, je ne ressentais pas ce besoin et je me demandais si j’étais normale de ne pas partager cet enthousiasme quant à cette « reconnaissance » par des pairs aux parcours et à la pensée similaires. Pourquoi n’avais-je pas ce déclic salvateur comme les autres « Zèbres » ?
Expression de mon mal-être et toujours la même réponse : « Tu es Zèbre ! »
Je me suis peu à peu ouverte, exprimant mon mal-être et tous les questionnements existentiels qui m’habitaient depuis toujours sur le sens de l’existence et de l’être. De plus en plus, le monde extérieur s’exprimait en des formulations certaines à mon sujet : « Mais Alice, c’est normal, tu es HP. », « Quand on est surdoué, on se pose forcément ces questions. », « Je vais te présenter à d’autres Zèbres qui vivent exactement la même chose que toi et tu verras !»
J’ai ressenti une sorte d’étrangeté : comme si de l’extérieur, on voulait m’imposer une identité et mettre absolument des mots sur ce que j’étais, me faire rentrer dans un nouveau moule alors que je passe ma vie à tenter d’en sortir pour me créer mon propre chemin de liberté.
Bientôt, dans mon cercle amical, la douance était au centre des conversations : « Moi, je ne sors qu’avec des filles surdouées sinon je m’ennuie… », ressentant parfois une forme de mépris à l’égard des « non-zèbres » que je ne cautionnais pas. Sommes-nous en train de formater avec un vocabulaire neuf notre regard sur les autres dans le but de répondre à notre douloureuse perte de repères, de spiritualité, de sens au 21ème siècle ? C’est une question que je me pose, elle est ouverte…
La fois de trop…
J’apprécie l’intellect autant que le cœur dans les échanges, la diversité et la richesse de tout être humain. Et j’aime simplement « être moi » sans avoir à être jugée de Zèbre ou pas. Alors que je tentais d’expliquer cette position à une connaissance HPI, celle-ci me rétorqua assez fermement « Mais enfin pourquoi tu t’obstines à renier ce que tu es ! » (sous-entendu : « zèbre »). Ce fut trop pour moi : je me sentais oppressée de devoir porter à tout prix ce mot, le revendiquer, en être fière, pour être « acceptée » de mon entourage. Dois-je porter le masque « Zèbre » simplement pour avoir le droit d’être « avec eux » ? Si tel est le cas, alors nous créons exactement ce qui va à l’encontre de notre évolution : un nouveau « nous » et « eux » !
Être libre de choisir ses étiquettes
Je respecte profondément tous ceux qui ont pu se créer de nouvelles représentations sur ce qu’ils sont au fond d’eux grâce à ces étiquettes émergentes. Tant de témoignages de « soulagement identitaire » ont fleuri grâce à ce mot « Zèbre » et c’est tant mieux si cela aide !
Mais comme tout mot qui vient rassurer, conforter ou dessiner la réalité subjective de certains, cela ne signifie pas que ce sera le cas pour tous ceux qui ont des expériences qui font écho aux nôtres. Le risque est alors d’en faire un cliché, d’être tenté d’imposer à l’autre ce que nous sommes et de faire perdre toute sa substance aux concepts auxquels on tente de donner naissance.
Je pense que nous devons, dans cette « crise identitaire » que nous traversons tous, plus que jamais faire attention à la manière dont nous nous empressons de définir l’autre par notre parole. Lorsqu’on m’a dit sur un ton péremptoire « tu es zèbre… », on me signifiait en fait : « je sais mieux que toi ce que tu es. » En lieu et place, je propose qu’on éveille la curiosité chez ceux qui le demandent par d’autres formulations en repartant du « je » (pour respecter le « tu ») et en y ajoutant de la nuance : « j’ai lu des livres sur les Zèbres qui personnellement m’ont beaucoup apporté. Peut-être que cela t’aidera également. » Une fois la graine humblement semée, libre à chacun de « se » choisir et de « se » définir.
Alice, une antilope qui court dans la même savane que les zèbres
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