La santé mentale nous concerne tous et il est parfois difficile de demander de l’aide lorsqu’on est touché directement ou indirectement par la souffrance psychique ou morale. Le Dr César Ancelle Hansen, médecin chez Livi, répond à nos questions pour mieux comprendre l’importance de la prévention en santé mentale et nous encourager à ne pas attendre dès les premiers signes d’un mal-être.
Quelle est votre vision en tant que médecin de la santé mentale et des évolutions actuelles de ce champ ?
Pendant longtemps, nous avons mis la question de la souffrance psychique sous le tapis. Il n’était pas bien vu d’en parler. A mon sens, il est important de sortir d’une réponse purement médicale. Il faut la conserver, bien entendu mais nous en revenons aujourd’hui à l’éternel débat corps/esprit. Les frontières s’effacent entre ces deux dimensions.
Ce qui est en train de se développer, c’est la médecine du mode de vie. Même si on fait de la « médecine symptôme » en santé mentale (de l’intervention aigue), ce qui me parait intéressant est la notion de prévention. La santé mentale est un énorme sujet et ce qu’il faut retenir : plus tôt on intervient, plus on évitera les complications et les problèmes à long terme.
La santé mentale, c’est la santé physique et psychique. Dans les prises en charge, on est obligé en tant que médecin d’intégrer à la fois le bien-être psychique et physique dans les prises en charge.
Est-ce que le mal-être et le stress qui sont actuellement palpables dans notre société sont inhérents à la période que nous vivons ?
Notre moral peut ne pas aller bien pour plein de raisons. On s’aperçoit que ce n’est pas forcément spécifique à cette période. Dans notre vie, chacun d’entre nous est confronté à des sources de stress, d’inquiétude. En fait, c’est inhérent à la condition de l’homos sapiens qui a dû fonctionner et se préparer à d’éventuelles menaces.
Quand on parle de « santé mentale », on peut certes s’intéresser à la médecine, au fonctionnement du cerveau, aux neurosciences mais également à l’évolution de l’homo sapiens. L’homo sapiens est exposé à des sources de stress multiples et à des potentielles menaces en permanence. Quand on est enfant, on n’est pas suffisamment préparé à ces situations, ce qui génère du stress.
Nous sommes tout le temps en train d’analyser notre passé pour améliorer le futur et le futur étant aujourd’hui de plus en plus incertain, nous générons du stress ainsi que des connexions au niveau de notre cerveau. Ce qui est intéressant c’est que la médecine et la psychologie peuvent nous donner des outils pour prendre du recul sur nos pensées et pour aller mieux. La gestion des émotions est un vrai sujet de société.
Que faudrait-il faire à votre avis pour développer la dimension préventive de la santé mentale ?
Personnellement, je pense qu’on apprend aux personnes à bien s’alimenter, à faire de l’activité physique, mais est-ce qu’on apprend aux enfants comment fonctionnent les émotions, le cerveau, est-ce que nos pensées c’est la réalité ?
En fait, apprendre aux gens qu’on va avoir des pensées automatiques qui sont des fausses pensées, expliquer qu’elles créent des émotions négatives qui engendrent des comportements inadaptés permettrait à tout chacun de mieux prendre soin de sa santé mentale et de réduire certaines habitudes négatives : fumer, boire de l’alcool, consommer des drogues, procrastiner…La gestion des pensées et des émotions est tellement liée à l’ensemble des autres activités de la vie. On ne peut plus passer à côté de ces sujets surtout que l’on sait qu’on a des outils qui fonctionnent, que l’humain a besoin de parler.
Qu’est-ce qui nous permettrait d’être dans une démarche plus préventive à l’égard de notre santé mentale ?
On est dans une société qui va de plus en plus vite car on est pressé, tout est urgent, on doit répondre à je ne sais pas combien de messages par jour. On doit être le bon salarié, le bon copain, le bon père de famille. On a la tête dans le guidon. On n’est pas prêt à écouter. C’est une démarche qui est limite spirituelle. Attention, il ne s’agit pas de devenir un gourou. Clairement, nous n’avons pas pris assez de temps pour réaliser ce que nous faisions. Peut-être que nous n’avions pas assez d’éléments objectifs pour avoir des conclusions.
Il y a aujourd’hui plus d’études qui nous montrent que, par exemple, un individu qui se laisse du temps pour pratiquer de l’activité physique, est en contact avec la nature, a des relations saines avec son entourage va être moins anxieux. D’autres études portent sur le sommeil : quand on dort bien, on se sent mieux. Un individu qui aide va avoir l’euphorie de l’aidant, il va se sentir mieux. Quelqu’un qui possède une philosophie spirituelle se sent moins attaqué par les émotions négatives. Toutes ces études vont très loin d’une démarche consumériste et cela ne nécessite pas forcément d’avoir beaucoup d’argent.
On sait que la psychiatrie et la psychologie évoluent, qu’il y a aujourd’hui des outils pour aller mieux et pourtant il nous est difficile parfois d’aller consulter un psy lorsqu’on se sent mal. Quelles sont les représentations qui nous empêchent d’entamer cette démarche ?
Certaines études montrent que l’entourage et le jugement des autres peuvent constituer un frein. La question que les patients se posent fréquemment : « qu’est-ce que l’entourage peut penser de moi si je consulte ? La crainte de consulter un psychiatre vient aussi de la méconnaissance du métier : les gens ne savent pas la différence entre un psychiatre et un psychologue.
Probablement aussi que dans l’inconscient collectif, aller voir un psychiatre va forcément aboutir à un diagnostic, ce qui n’est pas le cas. Ce sont des fausses croyances qui tiennent à l’histoire de la santé mentale. On a tous vu des films avec des camisoles de force, par exemple, ce qui n’a rien à voir avec les pratiques actuelles.
Il y a également le frein financier. Beaucoup de personnes pensent que d’entamer une démarche thérapeutique va leur coûter cher et ils n’ont tout simplement pas les moyens. Avez-vous des conseils à ce sujet ?
Pour lever les freins financiers, il faut avant tout penser aux médecins généralistes. 10 à 15% des consultations concernent une question liée à la santé mentale. Les médecins généralistes sont habitués à faire de la psychothérapie de soutien : je vais voir mon médecin et je vide mon sac.
De plus en plus de médecins traitants sont formés aux premiers secours en santé mentale, à l’hypnose ericksonienne, aux thérapies cognitivo-comportementales, à la méditation de pleine conscience…Les consultations des médecins généralistes sont remboursées par la sécurité sociale. Le psychiatre est aussi un professionnel de santé dont les consultations peuvent être remboursées par la sécurité sociale. Aujourd’hui de nombreuses mutuelles remboursent également certaines consultations chez les psychologues.
On peut également penser au dispositif Monpsy qui a été mis en place cette année et qui permet d’avoir accès à des consultations avec un psychologue remboursées par la sécurité sociale. Il faut pour cela, consulter son médecin généraliste. Certes, le dispositif est perfectible mais c’est déjà un début…
On a souvent l’impression qu’une psychothérapie va nous prendre des années. Est-ce vrai ? Existe-t-il d’autres moyens d’être aidé ?
Les psychothérapies ont évolué. Beaucoup d’entre elles sont des thérapies brèves (quelques semaines à plusieurs mois). Ces thérapies ont le vent en poupe car le patient est formé à analyser ses pensées, à faire des exercices, à utiliser les nouvelles technologies pour s’autonomiser. Certains psychiatres vont proposer de la bibliothérapie, par exemple. Il y a aussi des collectifs de patients experts qui se développent en France. Beaucoup de patients se forment à la méditation ou l’hypnose qu’ils pratiquent par eux-mêmes et créent leur propre méthode pour s’occuper de leurs émotions : ils apprennent à s’aider eux-mêmes. Il y a en fait plein de façons d’aider et d’être aidé.
Selon vous, quels sont les messages les plus importants à transmettre aujourd’hui à la population concernant la santé mentale et la souffrance psychique ?
Dans la société et la manière dont elle est organisée, on ne peut pas avoir une vie sans souffrance. Il faut être à l’écoute de soi-même et ne pas mettre les signes de souffrance sous le tapis. La 1ère étape est d’accepter et de reconnaître que l’on souffre pour ensuite pouvoir demander de l’aide. Les sources d’une souffrance peuvent être multiples : un évènement traumatisant, un deuil, un échec, un harcèlement…L’esprit est fait pour nous aider à digérer sauf que parfois, cette digestion ne se fait pas et on a besoin d’être aidé. Il y a des professionnels qui sont dévoués à cette tâche et dont c’est le métier.
Même lorsqu’on a eu une mauvaise expérience avec un professionnel, il ne faut pas baisser les bras et il faut continuer à se faire écouter car tôt ou tard, on tombe sur la bonne personne qui va nous donner les bons outils, nous tendre la main et qui va nous permettre de trouver un état dans lequel il y aura moins de souffrance. Il n’y a rien de pire que de souffrir seul, se sentir isolé, voir les gens autour de soi qui se marrent alors que l’on souffre intérieurement. Il y a des solutions face au mal-être et à la souffrance psychique.