Nous avons décidé de vous parler d’un sujet trop peu abordé : celui de l’aidance familiale. Notre chemin a croisé celui de Awa Camara, une femme aux mille casquettes, mère d’un enfant en situation de polyhandicap. A la naissance de son fils, Awa a dû repenser son avenir professionnel et familial. Un long chemin qui l’a conduite à un engagement fort pour aider davantage les familles qui se retrouvent dans cette situation. Nous vous partageons à travers cette interview, son histoire et les projets qu’elle mène avec un optimisme incroyable !
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Awa. J’ai 42 ans. Je vis en couple dans les Yvelines et j’ai 3 enfants.
Assistante sociale de formation, j’ai développé différents projets dont des crèches inclusives et citoyennes et l’association Second Souffle ayant pour but d’accompagner et de soutenir les proches aidants. Je forme également dans le cadre d’un organisme de formation, le COOFA (Coopérer pour une formation accessible), les professionnels de la formation et de l’intervention sociale sur l’accueil des publics en situation de vulnérabilité.

Comment votre vie est-elle chamboulée à la naissance de votre fils cadet, atteint d’un polyhandicap ?
A l’époque j’étais assistante sociale. J’avais un petit garçon de 4 ans, Liam, et avec mon conjoint, Fred, nous attendions avec impatience notre second enfant. Notre famille s’agrandissant, nous avons déménagé. Au niveau professionnel, cela se passait plutôt bien pour nous deux. Mon conjoint était maraîcher et de mon côté, je venais de prendre un poste d’assistante sociale en entreprise.
Quelques heures après sa naissance, il y a maintenant 12 ans, Yanis a présenté d’importants problèmes de santé et une épilepsie sévère qui ont eu des conséquences sur ma vie personnelle, sociale et professionnelle.
Pendant plusieurs mois notre quotidien a été rythmé par de nombreuses hospitalisations et une inquiétude grandissante. Pour rester auprès de Yanis, après mon congé maternité, j’ai dans un premier temps pris des congés enfants malade, puis quelques arrêts maladie. Comme j’étais fonctionnaire j’ai fini par prendre une disponibilité pour enfant malade. Au vu des nombreuses crises d’épilepsie de Yanis (plus de quarante par jour), la reprise d’un boulot me paraissait impossible. Aucun mode de garde n’était envisageable. Nous devions envisager l’avenir différemment.
Au début, rien ne différenciait Yanis des autres enfants à part ses nombreuses crises d’épilepsie. Puis petit à petit, plusieurs aspects de son handicap ont pris forme : pas de contact visuel, une hypotonie importante, aucune vocalisation, ni de gazouillement. Plus tard, il ne parvenait pas à tenir la position assise ou encore à se retourner. Il ne pouvait rien tenir dans ses mains, son alimentation était mixée et l’eau qu’il buvait, gélifiée. Il avait besoin d’une prise en charge spécifique et assez lourde (kinésithérapeute, psychomotricien, orthoptiste, neuropédiatre, traitements médicamenteux importants), nécessitant beaucoup de matériels spécialisés (coque moulée, lit médicalisé, verticalisateur, chariot douche).

On y a rencontré de nombreux professionnels et d’autres parents qui vivaient des moments difficiles. De nombreux questionnements et un flot d’émotions nous ont traversés. Nous avons découvert une autre réalité, celle du handicap et de l’aidance.
Pouvez-vous nous parler du projet que vous allez mettre en place suite à ces circonstances ?
Pendant les hospitalisations de Yanis, je cogitais beaucoup. En le regardant dormir paisiblement, épuisé par ses crises, je tentais d’imaginer ce que pourrait être son avenir, le mien, celui de notre famille. Malgré son état de santé, j’ai très vite ressenti le besoin de reprendre une activité professionnelle mais quelque chose avait changé en moi. Une prise de conscience sur le fait que je voulais changer d’orientation. Je ressentais le besoin de créer. Créer oui ! Mais créer quoi ?!
En échangeant avec une amie de longue date, Maïmouna, sociologue de formation, la réponse se dessina peu à peu. L’idée de créer notre propre activité fût très vite abordée. Nous étions complémentaires dans nos compétences et prêtes à nous retrousser les manches ! Nous décidâmes de créer des micro-crèches. Le projet était motivant et en adéquation avec nos valeurs, nos envies, nos vies du moment et nos réalités respectives.
Depuis 2010, nous avons parcouru un beau bout de chemin ensemble. L’Abeille et le Papillon a la volonté d’agir différemment, de façon utile, humaine et durable. Entreprise de l’économie sociale et solidaire, nous accueillons dans notre micro-crèche des enfants âgés de 10 semaines à 3 ans voire jusqu’à 6 ans lorsque les enfants sont en situation de handicap. Depuis 2020, nous disposons également d’un service de garde à domicile « Hors les murs » pour les familles rencontrant des difficultés à trouver une prise en charge adaptée pour leurs enfants.
Quelques années après, vous créez l’association « Second Souffle ». Quel est son objectif ?
Quelques mois après la naissance de Yanis, j’avais besoin d’échanger avec des familles qui vivaient dans la même situation que moi. Ma rencontre avec Sandra Bouira, une femme engagée et humaine, Présidente de l’association Kemil et ses amis, m’a donné de l’élan et à mon tour. En 2016, j’ai décidé de m’engager au niveau associatif afin de soutenir et d’accompagner les proches aidants et leurs familles.
Je compare souvent ma vie d’aidante à une course de fond. Durant cette course, il y a parfois des obstacles et des moments où on n’arrive plus à avancer. Grâce à des pauses, des moments de répit, des échanges et des rencontres, on respire à nouveau d’où le nom « second souffle » comme au sport. Notre objectif est d’informer sur le droit, de prévenir l’épuisement des familles. Nous proposons des temps de convivialité, des expériences, des temps de répit et nous sensibilisons le grand public.
En ce moment, Second Souffle propose sur le territoire de Saint Quentin en Yvelines, un dispositif mobile d’écoute et d’information des parents d’enfants en situation de handicap. Avec la crise du COVID qui a frappé durement ces familles, notre proposition contribue à rompre l’isolement.
Vous avez également écrit un livre « Le tiroir à bonheurs » qui retrace votre parcours d’aide familiale. Quel en est le message principal ?
En effet, en octobre 2020, mon premier livre « Le tiroir à bonheurs » a été publié par les Editions S-Active. Il m’a fallu plus d’un an pour écrire mon témoignage avant d’en faire part à Marguerite Soudey, mon éditrice qui m’a accompagnée avec beaucoup de bienveillance et de professionnalisme dans cette aventure littéraire.
Je pourrais résumer le message de ce livre à travers une citation de Winston Churchill qui me parle beaucoup : « Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté ». Je suis plutôt optimiste ☺ !
C’est vrai que la vie n’est pas un long fleuve tranquille et on ne réagit pas tous et toutes de la même façon aux difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Il y a parfois de hautes montagnes à gravir, des chemins étroits et sinueux à emprunter mais en parallèle ou au bout de ce voyage on peut aussi découvrir en nous une rivière qui trace de magnifiques sillons, une force insoupçonnée qui peut nous permette d’atteindre les étoiles. J
’aime mettre des mots et du sens à ce qui m’arrive aussi bien dans les moments de bonheur que dans les moments difficiles. J’ai voulu en écrivant ce livre transmettre un message d’espoir en partageant avec les lecteurs le chemin qui m’a amenée petit à petit vers mon processus de résilience. « Le tiroir à bonheurs » est une métaphore de ce processus. Par ailleurs, comme je le précise dans ma préface : « Aucune expérience humaine n’appartient exclusivement à celui qui la vit. Elle est le bien de tous ceux qui l’ont vécue ou qui la vivent encore et de tous ceux qui s’y reconnaissent. »