Dans son livre « Nuances » (paru aux éditions First), le Dr François Bourgognon revient sur 15 distinctions essentielles pour avancer sur le chemin d’une vie qui a du sens.
Alors que nous vivons dans un monde où les points de vue tendent à se polariser (pour/contre), l’auteur rappelle l’importance de savoir porter un autre regard sur la réalité, en tendant vers l’acceptation de ce qui est (jamais noir ou blanc, mais souvent gris).
Dans cette interview, il nous parle de ce qui l’a motivé à écrire une ode aux nuances.
Dr François Bourgognon
Qu’est-ce qui vous a inspiré l’idée de ce livre et pourquoi vous semble-t-il important pour les lecteurs d’aujourd’hui ?
En tant que psychiatre, j’ai pu observer dans le cadre de mes consultations à quel point le fait d’apporter des nuances pouvait s’avérer thérapeutique. Par exemple, je m’entends souvent expliquer qu’il y a une différence entre le courage et l’absence de peur, entre la tristesse et la dépression, entre prendre soin de soi et être égoïste, entre avoir une histoire et se faire avoir par son histoire, entre une décision et un choix, entre un refus et un rejet, ou encore entre la religion et la spiritualité.
A partir du moment où nous nous mettons en phase avec la réalité, aussi douloureuse soit-elle, il se passe quelque chose d’essentiel : nous retrouvons une possibilité d’action.
Dans « Nuances », j’aborde des notions que l’on confond souvent et qui sont essentielles à distinguer pour habiter au mieux sa vie.
Comment se manifeste la « vision dichotomique des choses » dans le monde actuel, en particulier à l’ère des réseaux sociaux ? Quels constats et observations faites-vous ?
Alors que nous possédons des moyens de communication d’une puissance inégalée, il est paradoxalement devenu quasi impossible de s’exprimer sans se faire taxer de naïveté ou au contraire d’extrémisme.
Les zones de rencontre, de dialogue et de réflexion sont de plus en plus ténues. Tout se change en affaire d’opposition : c’est pour ou contre, c’est blanc ou noir, on est dedans ou dehors, point final. Or sans nuances, pas d’esprit critique. Cela concourt à nous rendre influençables et peut être exploité activement dans le but de nous faire consommer ou d’orienter nos choix politiques – ce qui est bien évidemment la cas.
Selon vous, ce manque de nuances peut nous amener à être en « porte-à-faux avec la réalité. » Que voulez-vous dire par là ? Pouvez-vous nous aider à identifier ces situations de la vie dans lesquelles cela nous arrive ?
Le monde est fait de nuances, et une vision dichotomique des choses nous met nécessairement en porte-à-faux avec la réalité – et celle-ci ne manque pas de se rappeler régulièrement à nous.
Comment répondre habilement à ce que nous vivons si nous suivons aveuglément des pensées inopérantes ?
Aujourd’hui, nous adhérons volontiers à l’idée que tout est – ou doit être – sous contrôle et que le moindre inconfort est anormal. Il suffit d’observer nos réactions face à l’adversité pour voir à quel point nous méconnaissons la notion d’acceptation. Les tracas du quotidien sont un bon exemple : les retards de train, les aléas de la météo, les pannes d’électricité, etc. Pourtant, nous savons bien au fond de nous qu’il existe une différence entre « contrôler » et « agir sur ».
Dans votre ouvrage, vous évoquez 15 distinctions essentielles telles que « égoïsme » et « prendre soin de soi », « tristesse » et « dépression », « acceptation » et « résignation », « religion » et « spiritualité » etc. Comment avez-vous sélectionné ces distinctions ?
Il s’agit des distinctions qui me semblent les plus immédiates, non seulement dans un contexte de soins, mais aussi et plus largement dans une perspective d’accomplissement de soi. Elles résultent de mon expérience à la fois en tant que clinicien et qu’être humain.
Remettre de la nuance, c’est renouer avec notre esprit critique et quelque part nous plonger dans un inconfort. En tant que psychiatre et psychothérapeute (ACT & TCC), quels conseils pourriez-vous nous donner pour accueillir cet « inconfort de la nuance » ?
La première chose est déjà de considérer qu’il existe une différence entre le bonheur et le confort. Lorsque nous serons sur notre lit de mort, qu’est-ce qui nous donnera le sentiment d’avoir eu une vie qui méritait d’être vécue ? Certainement pas de l’avoir traversée au chaud sur un canapé bien moelleux !
Avancer sur le chemin d’une vie qui a du sens implique que l’on soit en mesure d’embrasser une dose incompressible d’inconfort.
Comment votre livre peut-il aider les lecteurs à sortir du « brouillard mental » et avancer sur le chemin d’une vie qui a du sens ?
En commençant par remettre nos pensées à leur place. C’est la première distinction que j’aborde dans mon livre : les pensées ne sont pas la réalité. Nous sommes tellement habitués au bavardage permanent de notre esprit que nous ne le percevons plus, raison pour laquelle nous confondons souvent nos pensées avec la réalité. J’aborde dans mon livre 15 distinctions dans un ordre qui suit une progression logique, depuis les éléments de base pour comprendre le fonctionnement de l’esprit jusqu’à des considérations existentielles, en passant par la connaissance de soi, ainsi que des règles incontournables pour gérer au mieux notre rapport au monde et aux autres.
Quel message essentiel souhaiteriez-vous que les lecteurs retiennent après avoir lu « Nuances » ?
Habiter au mieux notre vie passe par notre capacité à regarder la réalité bien en face, à embrasser l’inconfort que cette réalité suscite en nous, à faire ce qu’il y a à a faire, et à continuer d’avancer – du mieux possible, dans la réalité du moment – en direction de ce qui est important pour nous. Un message simple, mais qui constitue le travail de toute une vie, et qui peut être résumé en trois mots : présence, acceptation, engagement.