Il est de ces rencontres qui nous marquent à l’Optimisme. Elodie, ancienne ambulancière qui faisait chanter ses patients pour alléger l’angoisse, a depuis toute petite une passion pour le chant. Elle nous raconte son parcours vers une reconversion hors du commun. Ne se retrouvant plus dans son métier, et à la suite d’un burn-out, elle décide d’utiliser sa voix et le chant autrement pour aujourd’hui accompagner les personnalités atypiques à trouver leur « voie » et à s’autoriser à être qui ils sont. Portrait.
Pourquoi as-tu choisi le métier d’ambulancière à l’origine ?
Jʼai fait ce métier avant tout pour lʼhumain et me mettre au défi de gérer des situations de crise. Le métier dʼambulancier a très peu de reconnaissance car on lʼassimile au métier de transporteur alors que cʼest beaucoup plus que ça ! Si jʼai fait ce métier cʼétait pour ce caractère dʼurgence, être en relation avec le SAMU, le SMUR. Jʼai été au contact dʼurgence vitale, en réa. Jʼai vu la mort dans son plus simple appareil face à lʼhumain. Tout était là, dans cette question : « comment peut-on prendre soin de ce patient jusquʼau bout, quʼil revienne à la vie ou pas ? »
A côté de ton métier, tu as toujours eu une passion pour la voix et le chant. Peux-tu nous en dire plus sur cette passion ?
Jʼai une foi incommensurable en la voix. Si je nʼavais pas eu cette faculté de chanter, je ne serais pas là devant vous, cʼest elle qui mʼa sauvée. Cʼest dans des moments où je ne pouvais pas exprimer ou exulter mes émotions, que ma voix venait à mon secours : cette puissance de sortir ce quʼil y avait à lʼintérieur de moi ! A 16 ans, je me suis mise ouvertement à assumer cette voix, qui jʼétais véritablement et à oser chanter devant ma famille et sur scène. Le travail dʼinterprétation a été salvateur.
Au cours de ton parcours, tu vas perdre ta voix. Quelles découvertes vas-tu faire suite à cette épreuve ?
Jʼai perdu ma voix à deux reprises. Je ne pouvais plus chanter. Avant je relevais le défi haut la main, jʼétais une chanteuse à voix. Mon identité a été attaquée car pour moi, je nʼavais plus de valeur si je nʼavais plus de voix.
Pour redécouvrir ma voix, je suis repartie de zéro, en me disant : « Et si je recommençais comme si jʼétais une débutante ? »
Jʼai fait un travail sur le corps et les ressentis à travers la sophrologie. Cʼest là que jʼai accepté ma voix telle quʼelle se présentait avec ses bosses, ses cicatrices. De nouvelles touches se sont ajoutées. Je suis remontée sur scène avec cette voix plus abimée mais plus riche de sens.
Il t’est arrivé de faire chanter les patients dans les ambulances. Tu nous racontes ?
Il faut imaginer cet univers. Tu vas chercher une personne Alzheimer ou psychotique qui a des contentions. Entre le moment où on prévient la personne et celui où lʼambulance arrive pour lʼemmener sur son lieu de soin, la personne a oublié . Le patient est dans toute sa vulnérabilité et nous arrivons avec uniforme et brancard, cʼest violent ! Tu es à lʼhôpital, on tʼarrache de ton environnement de sécurité, lʼangoisse ou lʼagressivité montent. Je me mettais à chanter déjà pour moi, pour me remettre dans le corps et relâcher la pression, ne pas être gangrénée par lʼangoisse extérieure. Et jʼentraînais les patients avec moi. Ce qui était incroyable : les personnes Alzheimer se rappelaient par cœur des paroles de chanson. Quand tu chantes, tu sécrètes de lʼocytocine, cela entraîne un relâchement musculaire et corporel et tu actives un « massage sonore. »
Un jour, tu ne peux plus exercer ton métier d’ambulancière, pourquoi ?
Jʼai fait un burn-out en 2017. Je me suis dit : « Si je ne peux plus prendre soin de lʼhumain, je dois arrêter. » Un jour, lors dʼune urgence, jʼai été frappée par mes ressentis intérieurs. Je ne ressentais plus rien, plus dʼempathie. Jʼavais la sensation de mourir au travail. Cʼest là que je me suis engagée sur un autre chemin professionnel…
Tu as donc décidé de devenir coach vocal pour personnes atypiques…
Je nʼavais jamais réalisé auparavant que je pouvais utiliser cette compétence du chant pour en faire un métier à ma façon et renouer avec lʼhumain. Après un long chemin et suite à un bilan de compétences, jʼai pris conscience que cela était possible, que nous nous enfermions dans des cases alors que le tout est de trouver la manière dʼincarner ce que nous sommes à travers ce que nous aimons profondément. En réinventant mon chant, je me suis redécouverte. Jʼai exploré mon hypersensibilité. Au bout dʼun moment, les personnalités hypersensibles ou atypiques sʼépuisent car leur énergie est mise à la justification de qui elles sont.
Le changement de regard vis-à-vis de nous passera par le regard quʼon porte sur nous-mêmes.
Cʼest ça que je fais dans mes coachings aujourdʼhui : rendre les personnes autonomes, sʼautoriser à oser exprimer leur vulnérabilité dans leur voix, ne pas chercher à « faire bien » mais à « être », tout simplement à travers leur voix, en redécouvrant la beauté des ressentis et des émotions.