Mercredi 14 octobre 2020, nous avons eu la chance d’accueillir lors de notre pause-café le docteur Philippe Rodet, auteur de « La bienveillance au travail » et « Vous pouvez aller mieux » aux Éditions Eyrolles. Dans ce webinaire, Philippe Rodet aborde la question de la gestion du stress au travail dans le contexte de crise que nous connaissons actuellement. Dans cet article, retrouvez l’essentiel de son propos.
Stress et crise sanitaire : évolutions et constats
Nous traversons une période de crise. Toute crise peut comporter deux temps distincts :
- Dans un premier temps, il y a une augmentation du stress
- Dans un second temps, on peut constater des épisodes dépressifs qui apparaissent 3 ou 4 ans après le début de la crise. C’était le cas en 1929 et en 2007.
Dans la crise actuelle, les épisodes dépressifs ont commencé beaucoup plus tôt. Une étude montre qu’en avril 2020, aux États-Unis, le taux de dépression était trois fois plus élevé qu’en 2019. Il faut prendre soin des personnes. Nos comportements vont être essentiels.
Les « facteurs de protection » : des leviers anti-stress
Si on outillait les concitoyens en facteurs de protection, ils pourraient beaucoup mieux résister aux facteurs stressants de la vie.
Du psychiatre québécois Jean-Jacques Breton
Tout comme il y a des facteurs de risques et des sources de stress, il y a des sources de protection. Depuis mars 2020, les facteurs de stress (crainte de la maladie, crainte de contaminer ses proches, de perdre son emploi…) ont augmenté alors que les facteurs de protection se sont effondrés. Un équilibre entre les sources de stress et les facteurs de protection est essentiel.
Les facteurs de protection peuvent être :
- La présence d’objectifs dans la vie
- Le sens de notre vie et de notre travail
- Les liens sociaux
- La projection vers un avenir agréable et des moments agréables
L’activité physique a également un impact hormonal. 30 minutes de marche par jour et 21 marches à monter suffisent à freiner les sécrétions des hormones du stress. Dans certaines entreprises canadiennes, les escaliers ont été réhabilitées pour encourager les collaborateurs à faire de l’activité physique.
Depuis les propos du Docteur Breton, une étude a montré que des liens sociaux de qualité, des relations d’entraide et de solidarité diminuent les effets du stress et permettent la libération de deux hormones protectrices du stress.
S’engager vis-à-vis du bien commun et d’autrui est aussi une activité protectrice. L’engagement dans une cause d’intérêt général est le meilleur traitement du stress.
Noter les moments positifs de sa journée : les effets hormonaux
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Freiner la production d’adrénaline et de noradrénaline
Les « 3 kifs par jour » ont été abondamment mis en lumière dans le livre de Florence Servan Schreiber. Philippe Rodet reprend cet exercice qu’il complexifie légèrement.
Pour maintenir un état de sérénité, sur la page d’un carnet divisé en deux, il note d’un côté ce qui s’est mal passé dans sa journée et de l’autre, trois points positifs, ceux qui l’ont le plus impacté pour y repenser avant d’aller se coucher. Il s’agit d’une forme d’hypnose de pleine conscience.
Depuis une étude d’août 2016, les actions chimiques de cet exercice sur notre cerveau ont été étudiées. Certaines parties du cerveau sont stimulées par la pratique de la pleine conscience. Des faisceaux nerveux relient ces parties activées aux petites glandes situées en dessous de nos reins, les glandes surrénales. Ceci a pour effet de freiner deux hormones du stress : l’adrénaline et la noradrénaline.
Une étude de l’INSEE au mois de février 2020 a montré que lorsque le taux d’adrénaline/noradrénaline est plus bas, le risque de contracter une infection virale est plus faible.
2. Augmenter le « sentiment d’efficacité personnelle »
Le docteur Philippe Rodet suggère ensuite de repérer parmi les points positifs les petits succès (s’il y en a) c’est-à-dire un évènement que l’on a pu influer grâce à l’une de ses actions. Progressivement, au fur et à mesure de ce repérage, le « sentiment d’efficacité personnelle » augmente. Le sentiment d’efficacité personnelle est la conscience de sa compétence et de ce qu’on sait faire.
Lorsque le sentiment d’efficacité personnelle augmente, le niveau de stress diminue de 32% chez les hommes et de 42% chez les femmes. En effet, cet exercice a pour effet de modifier l’expression d’un gène qui code pour une protéine de récepteur d’ocytocine. L’ocytocine est une hormone protectrice. La différence du taux entre les hommes et les femmes s’explique par le fait que les femmes produisent un peu plus d’ocytocine.
La transmission de nos émotions
Il y a deux types d’émotions : des émotions à valence positive qui sont agréables et des émotions à valence négative qui sont désagréables. Dans le contexte actuel, beaucoup d’émotions négatives sont transmises car les nouvelles ne sont pas bonnes et que demain est incertain.
Qu’elles soient positives ou négatives, les émotions se transmettent à la même vitesse. Lorsqu’on rentre le soir de mauvaise humeur, il faut 30 millisecondes à nos enfants pour percevoir nos émotions.
Nos émotions négatives sont beaucoup plus puissantes. Pour qu’un être humain s’épanouisse 2,9 à 13,2 émotions positives sont nécessaires pour compenser une émotion négative.
On ne peut pas toujours contrôler nos émotions négatives, surtout si elles sont transmises par l’extérieur. Si on ne peut pas jouer sur la source de l’émotion, on peut essayer de multiplier les émotions positives pour compenser.
Idées pour générer des émotions positives au travail :
- Nous entraider à percevoir le sens de notre travail. « Prendre le temps d’expliquer, ce n’est pas perdre du temps, c’est en gagner » disait un DRH d’un grand groupe. Le sens diminue les effets du stress et permet de réussir ;
- Accorder un juste niveau d’autonomie ce qui témoigne d’un degré de confiance ;
- Fixer des objectifs au bon niveau qui doivent être ambitieux mais réalistes. Les objectifs doivent être des défis possibles.
- Permettre aux collaborateurs de progresser. Dans une étude réalisée par Google en 2019, plus de 1600 collaborateurs ont répondu à la question « Quelle a été votre meilleure journée ?» Dans 72% des cas, c’était le jour où le collaborateur avait progressé. Permettre aux personnes de progresser est un bon moyen d’éviter le burnout et le bore out.
- Faire des retours positifs mais authentiques ;
- Prendre le temps d’échanger.
Impact de l’authenticité sur notre cerveau : les retours positifs sincères
Aux États-Unis, on a réalisé que les retours positifs étaient faits de manière automatique, trois fois par jour. Lorsque c’est trop fréquent et que ce n’est pas authentique, les retours positifs ne fonctionnent pas.
Olivier Georges, professeur de neurologie aux États-Unis, a découvert que dans notre cerveau, contrairement à ce qu’on croyait jusqu’à maintenant, il n’y a pas une mais deux populations de neuro-dopamines.
- Un retour sincère occasionnel fait fonctionner la population de neuro-dopamines qui nous intéresse : la personne sera motivée et ressentira du plaisir.
- Si les retours sont faits de manière systématique sans sincérité : la neuro-dopamine est libérée en petite quantité en même temps qu’un précurseur de l’hormone du stress. Ici, le fonctionnement va être perturbé.
Il y a souvent une injonction aux managers à faire des retours positifs mais si ces retours ne sont pas sincères, ils induisent du stress.
L’importance des liens sociaux dans la période actuelle
Lorsqu’on a une réaction de stress, 4 hormones agressives ont libérées : l’adrénaline, la noradrénaline, le cortisol, l’aldostérone. Libérées en grande quantité sur du long terme, elles abiment l’organisme.
Les liens sociaux favorisent la libération de l’endorphine et de l’ocytocine qui sont deux hormones très protectrices de stress.
Dans cette période où nous nous croisons moins, un manager qui prend 10 minutes pour avoir des nouvelles de son collaborateur peut changer la donne. Derrière un écran, il est beaucoup plus difficile de constater un mal-être. Recréer des liens dans le contexte actuel est indispensable. Les liens sociaux, même indirects (en visio, par exemple), sont protecteurs.
Cultiver l’empathie auprès des collaborateurs
Il a été prouvé que l’empathie permet de diminuer de 17% la douleur physique de celui qui souffre. L’empathie n’est donc pas une vue de l’esprit. Pour être empathique, il faut être serein soi-même pour ne pas absorber les émotions négatives des autres.
Dès que le stress augmente, l’empathie diminue. Une phrase de Jeffrey Mogil résume bien cette pensée : « Il faut diminuer le stress chez les personnes que l’on voudrait voir fraterniser »
Ainsi, si on souhaite échanger avec un collaborateur qui ne va pas bien, inutile d’y aller à 19h00 quand on est soi-même saturé puisqu’on ne saura pas être suffisamment empathique.