Utopiste, éditrice et auteure de livres engagés et désobéissants, Sandrine Roudaut nous raconte comment son passage sur la scène de TEDxVaugirardRoad a chamboulé sa vie. Il lui a donné l’envie et l’énergie de se lancer dans un nouveau défi : l’écriture des Suspendu(e)s, un ouvrage qui résonne fort avec le thème de notre édition 2017, DésobéissanceS.
Avec le recul, comment c’était de passer sur la scène de TEDxVR ?
C’était fou. Un moment très intense. Passer sur scène c’était impressionnant et en même temps d’une grande évidence. Moi qui d’ordinaire doute, là je n’avais pas peur, j’étais impatiente de passer. J’étais émue, mais je n’avais pas le trac. En fait, quand on a trouvé le message qui vous donne l’audace d’aller sur scène cela devient une urgence. Tout avait conspiré pour m’amener à ce soir là. Il y a toute la préparation qui oblige à creuser en nous, pourquoi prendre ce risque d’aller sur scène, parce que c’en est un aussi. La question devient : « Pourquoi je me tiens debout ? ». On travaille le texte pour que ce chemin nous soit très familier, on le connait.
Et puis un moment de blanc. Et ça, c’est le vertige de la scène, tout peut arriver. C’est l’intensité de la vie.
On sort de son texte, on revient dans la salle, dans ce moment très humain, je me souviens du noir, des visages. Et à ce moment plus que jamais, j’ai senti la bienveillance de la salle. On n’est pas au spectacle, ce n’est pas une démonstration non plus, c’est un partage, un être humain qui prend le risque de s’exposer, des gens qui prennent le temps de venir écouter un anonyme avec curiosité. Curiosité vient de cura, la cure, ça veut dire prendre soin. Quelle expérience de recevoir ce soin là… Le cadeau…
Qu’est-ce que ça a changé pour vous ?
Plein de choses. Personnellement, j’ai intégré que ma parole avait un sens, une utilité. Que je ne devais plus la taire. C’est probablement le plus important. Et puis, c’est une expérience physique aussi. Vous êtes un corps, une voix, un rythme. D’ordinaire, je me planque derrière l’écrit. Un discours s’incarne avec votre énergie singulière. Il faut être branché sur ce qui vous anime. Parler trop lentement, comme pour s’excuser, si vous êtes une révolutionnaire, ça sonne faux. On ne peut pas se travestir. J’ai compris que je devais revenir à mon tempérament et à ce qui me fait avancer dans la vie, une souffrance, une âme de résistante et l’émerveillement. Au départ, j’essayais d’être neutre, ça ne marchait pas.
On résonne. Avec qui on est et avec un certain message universel.
J’ai découvert la non-intention aussi. J’ai essayé de ne pas avoir d’intention sur l’image que je donnerai, pas d’intention sur ceux qui m’écouteraient. J’avais une histoire à raconter, quelque chose qui est viscéral pour moi. Mais je n’ai pas essayé de convaincre. J’ai laissé la place à chacun pour faire son bout de chemin. À mettre trop d’intention on se crispe. J’ai lâché sur mon ambition de « sauver le monde » en allant convaincre le plus grand nombre. J’étais dans l’idée d’une bouteille à la mer, joyeuse et déterminée. Une chance qu’on me donnait. En me disant, il me reste 15 minutes à vivre, j’ai la chance de passer un message, c’est quoi mes derniers mots ? Je ne verrai pas la portée de ce que je vais dire.
Qu’avez-vous fait depuis dans la lignée de ce talk ?
Il y a eu un avant et un après. J’ai compris plein de choses ; j’ai essayé de m’y tenir depuis. Je venais d’écrire “l’utopie, mode d’emploi”, ce talk a été le fil que j’ai tiré, une inspiration pour me lancer dans l’écriture des Suspendu(e)s. La chute de mon talk a été le début de nouvelles recherches. Depuis, j’ai également creusé tout ce que j’ai découvert sur moi lors de cette expérience. Et comme je suis en partie éditrice, cela me donne plus de détermination encore à accoucher les auteurs des messages qui leur sont les plus intimes.
Comment votre vie/métier/positionnement a évolué depuis ?
C’était un peu comme faire une thérapie en accéléré. Tout y passe. Qui es-tu pour aller sur scène ? Entendre Stéphane Roger me dire « ta parole importe », c’est un virage pour moi. J’ai tiré ce fil là aussi. Voir que ce talk aidait des gens à exprimer leur coming out d’utopistes, d’engagés, m’a fait comprendre combien j’aimais permettre cela. Que mon endroit, c’était ça: être une messagère, un miroir, une chercheuse-semeuse d’utopie, comme je dis depuis.
Ce talk, je l’ai fait sans calcul. Si j’avais voulu du boulot, je n’aurais pas raconté ça. Je faisais de la stratégie d’entreprise soutenable et désirable. J’aurais pu parler des freins au changement, des antidotes pour modifier nos comportements, de la façon de s’affranchir du développement durable. C’était le cœur de mon expertise, de mes travaux, personne n’en parlait. Ça, ça m’aurait positionné fortement, avec des concepts, de la méthode, une offre de services claire. Mais si tu as 15 min à vivre, ça n’est pas ça que tu racontes. J’ai ironisé sur nos politiques DD et RSE en parlant de transition esclavagiste ou d’esclavagisme responsable. Il y a mieux pour faire consensus et attirer les entreprises ! Je me suis radicalisée, je suis passée du côté des utopistes et des contestataires à l’ordre établi. À aucun moment je ne le regrette ; au contraire je remercie la petite voix qui m’a invitée à sortir du bois. Cela m’a permis d’affirmer ce qui m’animait, ce en quoi je crois et donc j’ai poursuivi sur cette lancée qui s’est déclarée lors du TEDx : honorer et favoriser les minorités désobéissantes et la non-résignation. C’était un coming out.
Bizarrement, je pensais me couper des entreprises et en fait non, je vais intervenir sur la désobéissance, l’utopie et la non-soumission à l’autorité prochainement lors d’une grande assemblée de dirigeants. Comme quoi, les messages qui résonnent sont ceux qui sont votre vérité, quand on est bien planté.
Où en êtes-vous aujourd’hui par rapport au sujet que vous aviez porté ?
Quand j’ai vu que ce TEDx se retrouvait sur anti-déprime.com alors que je parlais d’écologie ce qui en général barbe tout le monde, je me suis dit que je devais poursuivre la réflexion. Qu’il y avait un vrai espoir de “sauver le monde”, une foi possible en l’humanité dans cette idée d’utopistes…. Comme j’avais compris que c’était toujours une minorité qui avait changé le monde, j’ai voulu comprendre qui ils étaient, s’il fallait des prédispositions particulières de héros, si on pouvait s’inspirer des grands mouvements citoyens de l’histoire. J’ai étudié la soumission à l’autorité parce que cela me paraissait le cœur de notre résignation et le pire piège que l’époque nous tend. Celui qui nous amène à la banalité du mal.
Cette époque m’inquiète, je pense qu’on peut s’en sortir si on est conscient de nos forces comme de nos fragilités. J’ai étudié aussi pourquoi on n’aime pas les désobéissants. Et enfin est ce que ça rend heureux de s’engager ainsi. Le lien entre le bonheur et l’engagement, c’était un des TEDx que j’avais proposé à Stéphane Roger. J’en ai fait un livre qui s’appelle “Les Suspendu(e)s”, je l’ai écrit avec la même urgence que le TEDx. Et j’en suis arrivée à l’étape d’après : d’une utopie collective à l’utopie personnelle, l’accomplissement. J’ai appelé ça l’utopie d’être: l’utopie de soi dans le monde.
Quelle citation inspirante aimeriez-vous partager ?
Cela m’en évoque deux. Celle de Mark Twain : « Les deux jours les plus importants dans votre vie sont le jour de votre naissance et le jour où vous découvrez pourquoi ». Je crois que le TEDx m’a amenée là. Et une autre, de Boris Pasternak :
Celle-là, je la trouve imparable, je me la répète souvent.
Et un TED/TEDx talk qui vous a particulièrement marqué ? En quoi ?
Celui de Jean-Pierre Goux de l’édition suivante de TEDxVaugirardRoad. J’en ai eu des sanglots. L’émotion pure. L’overview effect, cette idée qui prétend qu’en voyant la planète bleue tourner on est pris de l’envie de la protéger. Une idée inspirée par les astronautes qui sont revenus de l’espace. Ces images, partagées sur grand écran avec des centaines de gens, ça fait partie des plus pures émotions de ma vie. J’ai éprouvé de l’amour pour cette terre, pour nous les humains persévérants. C’était d’une telle beauté. Et il y avait l’histoire très humble et néanmoins totalement folle de Jean-Pierre. Ça c’est une grande utopie.
Qu’est-ce qui vous rend heureux/se ?
Beaucoup de choses.
Rencontrer des gens qui ont de la détermination et de l’ambition pour l’humanité. Je suis émerveillée par les rencontres. J’ai l’impression de voyager en terres humaines. Il y a tant de personnes lumineuses, d’une douce puissance, notamment parmi la jeune génération. J’y puise de l’audace, de la légèreté, de la foi, de la liberté aussi. Et sinon voyager en itinérant dans des pays très éloignés de nous culturellement, danser, rire et par-delà tout, mon amoureux et mes filles.
Qu’avez-vous à nous dire que nous ne vous avons pas demandé ?
C’est quoi faire un TED ? On parle beaucoup de la vidéo, et c’est normal c’est ce qui circule, c’est ce qui reste, ça peut être le temple des regrets comme celui de la propagation d’idées. Il ne faut pas trop se focaliser sur ça je crois, sinon on se met la pression. Moi ce qui m’a transformée, fascinée, c’est l’expérience vivante, humaine, celle du miroir avec Stéphane Roger, celle solitaire du texte, celle de la répétition en découvrant les autres et leurs messages (immédiatement tu quittes ton autocentrage, le stress, c’est l’émerveillement pour tes compagnons d’un soir) et enfin celle de la scène, de la salle. C’était presque une transe. Un moment qui restera à jamais suspendu.
Que t’inspire le thème de l’édition 2017, DésobéissanceS ?
284 pages ! Blague à part, je crois que c’est le sujet de notre époque. Politiquement incorrect, angoissant mais essentiel. Proposer plus grand, être à la hauteur des enjeux, exige de désobéir. Sans désobéissance, il n’y a pas d’utopies réalisées, puisqu’elles naissent précisément de la désobéissance au fatalisme, aux médiocrités admises, au conformisme, à la soumission aux lobbies. Et puis désobéir, c’est grandir, s’affranchir de toutes les autorités : de sa famille politique, syndicale, de son milieu, de l’opinion de la majorité, pour ne compter que sur nous.
Ceux qui aujourd’hui viennent en aide aux réfugiés qui fuient nos bombes, ou ceux qui s’opposent à des projets destructeurs qui stérilisent nos terres, polluent notre eau, tous ceux-là sont dans l’illégalité, ils désobéissent aux lois des hommes pour ne pas renoncer à la loi supérieure, celle de l’humanité. On est toujours dans le vrai, quand on est du côté de la justice et de la dignité. Ces désobéissants-là nous honorent.
Faire les bons choix dans une époque tourmentée, ne pas déraper vers la peur, le repli et l’affrontement, cela passe par la résistance, la désobéissance à « la raison d’État », à « l’honneur de la patrie », à « ce qui se fait », au déni… l’Histoire nous l’a maintes fois montré. C’est évident quand on regarde en arrière, plus compliqué dans le feu de l’époque.
En fait, la désobéissance nous protège de nos faiblesses et fait jaillir nos lumières. Désobéir, c’est aussi désobéir à soi même, à qui on pense être, à ce qu’on a été, à l’idéal de soi, désobéir au souci de notre image et au besoin de reconnaissance, désobéir aux étiquettes qui nous figent, se donner l’occasion de se re-rencontrer, et re-rencontrer l’autre aussi. La désobéissance se fait à plein de niveaux, et à différents degrés, chacun apporte sa petite désobéissance au profit d’un monde meilleur. D’où l’intérêt du S dans le thème de TEDxVaugirardRoad. Après je me pose une question : TEDxVR saura-t-il désobéir aux codes de TED, qui parfois peut-être nous enferment. explorer cela ne peut que faire grandir les TED qui vont suivre.
Pour finir, j’aimerais dire une chose. Il arrive qu’en obéissant, on aille à l’encontre de qui nous sommes, de nos valeurs, de nos sentiments, de nos intuitions. Quand on sent cela, désobéir devient vital, on désobéit pour ne pas renoncer à soi, ne pas renoncer à notre part d’humanité, ne pas renoncer à l’humanité. Je crois que la désobéissance peut sauver l’humanité et qu’en même temps elle sauve notre part la plus noble.
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Biographie – Sandrine Roudaut
Après plusieurs années en agences de publicité à Paris auprès de grandes marques, Sandrine Roudaut décide en 2001 de se consacrer à la conjugaison du soutenable et du désirable. Elle crée alors le cabinet Alternité à Nantes pour conseiller les entreprises, puis la maison d’édition La Mer Salée. Auteure de Utopie mode d’emploi, elle cherche depuis toujours à comprendre les freins psychologiques et culturels à l’émergence d’un monde meilleur. Elle vient de publier Les Suspendu(e)s. Utopistes, insoumis, désobéissants : ils écrivent demain et s’accomplissent aux Editions de la Mer Salée.
Propos recueillis par :
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Flora Clodic-Tanguy, Slasheuse heureuse, j’ai fait le choix du journalisme positif. Mon bouillon de culture: des nouveaux médias optimistes et tournés vers l’avenir; des initiatives d’innovation démocratique, sociale ou écologique ; des entrepreneurs inspirants. Twitter @FloraClodic
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