Nous sommes allés à la rencontre de Rafi Haladjian, un entrepreneur brillant, aux multiples facettes, connu en tant que pionner de l’Internet en France. Considéré comme l’une des 100 personnalités les plus influentes du numérique en France, il a fondé Moralscore, un site en ligne depuis janvier 2019 qui permet aux consommateurs de favoriser les entreprises qui respectent leurs valeurs morales. Rencontre.
Bonjour Rafi, pouvez-vous nous raconter l’histoire de « Moralscore » ? D’où vous est venue cette idée ?
On est 4 autour de ce projet : Franck Biehler, Ugo Dessertine, Anthony Zwiebel et moi-même. Je ne sais plus comment la conversation a commencé mais un jour, dans le métro, nous en sommes venus à parler de toute cette génération d’entrepreneurs de la tech qui pensent que tout leur est permis simplement parce qu’ils ont fait deux ou trois bricoles sur un Smartphone. Quand on achète des baskets, un téléphone ou autre, on ne sait pas tellement qui se cache derrière ça et il y a des choses franchement pas éthiques !
Une autre préoccupation était l’inconsistance des gens et leur perception de ce qui est éthique ou non. Dans mes amis, j’en voyais certains acheter parce que c’était « cool ».
Au départ, l’idée était de mettre le doigt sur ces situations paradoxales comme chez certaines entreprises de livraison de repas qui disent : « On est cool, on protège la planète, on roule à vélo mais on paye nos livreurs 4 euros de l’heure. »
Concrètement, comment cela se passe sur votre site ?
Moralscore est une plateforme en ligne qui permet à l’utilisateur de comparer les entreprises par secteur en fonction de leur performance éthique. L’utilisateur remplit un questionnaire qui prend 2 minutes et obtient un score personnalisé qui lui permet d’avoir un classement des entreprises en fonction des valeurs qui sont importantes pour lui.
Quelle est votre définition de l’éthique ?
On n’en a pas ! Notre slogan est « Qui est gentil ? Qui est méchant ? » C’est ironique car on ne croit pas qu’il y ait une morale absolue. Notre principe c’est que les gens viennent et aient leur propre échelle de valeurs, qu’ils aient leurs propres gentils et leurs propres méchants.
Il y a 2 soucis quand on fait de l’éthique. Est-ce que je sauve mon âme ou est-ce que je sauve la planète ? Je peux me dire que je vais sauver mon âme en faisant la cuisine chez moi et en ne me faisant pas livrer des burgers de chez MacDonald. Mais ce qui a plus d’impact pour la planète c’est que MacDonald change son comportement. La seule chose pour que des grosses entreprises comme Coca Cola changent leurs comportements, c’est de voir un concurrent tel que Pepsi devant lui en termes d’éthique. C’est plus une compétition entre les grandes marques
Quels critères utilisez-vous pour classer les entreprises selon leurs valeurs morales ?
Nous avons classé les entreprises selon 10 valeurs morales (fiscalité, innovation, conditions de travail, vie privée, environnement…) et 70 critères.
Nous ne sommes pas un média d’investigation. Le problème n’est pas la disponibilité de l’information, il y en a partout ! Mais le consommateur a une information partielle ou alors, il ne fait pas l’effort d’aller chercher l’information. Alors il fait son choix sur une impression générale, sur la « coolitude » de la marque ou sur le dernier scandale qu’il a entendu, comme par exemple, dans l’histoire de Deliveroo (n.d.l.r qui a changé sa méthode de rémunération en 2019).
L’idée est de prendre une info qui existe et la simplifier pour donner juste une note sur qui est mauvais et qui est gentil selon l’échelle de valeurs du consommateur. On banalise l’éthique. Être vertueux doit être aussi facile que de commander une pizza.
On a remarqué qu’il y a trois préoccupations majeures chez les consommateurs : l’environnement, les conditions de travail et la fiscalité. Et surprise : la vie privée est avant dernière. Le dernier critère est la rémunération des actionnaires, cela n’est la priorité de personne !
Comment assurez-vous la transparence et l’égalité dans vos classements d’entreprises ?
Nous avons un principe de stricte bienveillance et on applique une échelle objective de notation, avec une véritable grille d’évaluation factuelle.
On dit de vous que vous êtes le « Yuka de l’éthique », vous en pensez quoi ?
Concernant Yuka, l’information pour le consommateur est directement sur le produit. Quand il s’agit d’entreprises, le consommateur n’a pas l’information. C’est la grande différence.
Moralscore est le « Yuka de l’éthique » dans le sens où on est une aide pour le consommateur au moment où il fait son choix de consommer. Par exemple, je suis Place de la République et j’ai faim. En face de moi, il y a Burger King, MacDo, KFC, lequel choisir ?
Aujourd’hui, nous avons près de 200 000 utilisateurs.
Comment envisagez-vous la suite de Moralscore ?
On a testé le concept et on a vu l’intérêt de tout l’écosystème que ce soit pour les consommateurs ou pour les entreprises. On va passer à une vitesse supérieure et on va créer une « app qui déchire. »
Nous allons aussi ajouter un système de feedback pour les consommateurs qui ont le droit de ne pas être d’accord avec le classement et d’expliquer pourquoi.
Concernant l’entrepreneur que vous êtes, pouvez-vous nous raconter votre plus beau souvenir d’entrepreneur ?
Il y en a deux.
Le début de FranceNet (le début d’internet), c’était génial ! Il y avait cette impression de faire un truc dont on ne sait pas à quoi ça sert. Beaucoup m’ont dit, en 1994 : « Internet, c’est nul ! » On ne gagnait pas d’argent mais on avait cette conviction. Je me souviens de toutes ces tortures intellectuelles quand on démarre une boîte. Celle-là était exemplaire dans le genre : « ça avait l’air d’être une mauvaise idée. »
Depuis, je pense que je ne fais que des entreprises suicidaires. Lorsque tout le monde nous dit qu’on a tort, cela a une vertu : cela évite d’avoir des concurrents !
Le 2ème souvenir : le lapin, un truc de dingue ! On avait fait une étude de marché et on avait posé la question aux gens : « est-ce que vous aimeriez avoir un lapin connecté à Internet ? » 100% des gens avaient répondu « non » ! Mais on en avait envie alors on l’a fait ! On en a fabriqué 5000 et on s’attendait à les vendre en 6 mois. Ils ont tous été vendus en 6 jours.
Question un peu plus intime…Qu’est-ce qui vous rend heureux ?
Lire des livres ! J’aime particulièrement « Everyday chaos », ça traite de l’incertitude. On pensait que le monde était prévisible et maintenant on sait qu’on ne sait pas. Comment peut-on vivre avec le fait qu’on ne sait pas ? Il ne faut pas être tétanisé par cette question.
Un conseil à donner aux entrepreneurs ?
Allez-y !
Une citation à partager avec nos lecteurs ?
La plus évidente – Gandhi : « D’abord ils vous ignorent, puis ils se moquent de vous, puis ils combattent, et enfin, vous gagnez ! »
Vous voulez valoriser les entreprises qui respectent vos valeurs ? Rendez-vous sur le site de Moralscore
Vous souhaitez d’autres histoires inspirantes d’entrepreneurs ? Retrouvez l’interview de Cyril Neves, fondateur des Petits Bidons.