Vero Cratzborn est la réalisatrice de La Forêt de mon père, un premier long métrage avec Ludivine Sagnier et Alban Lenoir qui sortira en salle le 8 juillet prochain. Cette fiction, inspirée de la propre expérience de Vero Cratzborn, met en scène une famille dans laquelle la maladie psychique fait éruption.
Douceur, amour et sincérité ont traversé l’écriture et la réalisation de La Forêt de mon père. Une invitation à ouvrir les échanges sur un sujet qui nous concerne tous et à nous interroger sur les frontières entre normalité et folie. Rencontre avec une réalisatrice humaine et audacieuse.
Vero, peux-tu te présenter en quelques mots pour nos lecteurs ?
Je suis Vero Cratzborn, je suis Belge et vis à Villejuif. Cinéaste, citoyenne et maman, je consacre ma vie à essayer de raconter des histoires car j’aime ça !
Je suis curieuse de tout, j’écoute le monde, je regarde…C’est ce qui nourrit mon travail de cinéaste.
Peux-tu nous parler un peu de ton parcours…Comment es-tu arrivée dans le milieu du cinéma ?
J’ai découvert le cinéma assez tard, quand j’étais jeune adulte. J’ai grandi à la campagne en Belgique et j’ai étudié à Liège. Des bourses m’ont permis de vivre à Paris puis au Québec où j’ai travaillé dans un journal spécialisé dans l’audiovisuel. A partir de là, ma vie a été une succession de rencontres qui m’ont permis des ouvertures. A l’image de mon premier long métrage, La Forêt de mon père, ce sont des chemins de traverse qui m’ont chaque fois menée vers celle que je suis aujourd’hui.
J’ai commencé dans le milieu du cinéma à 25 ans, sans avoir vraiment de formation. Je pense que je ne savais pas trop ce que je voulais faire. J’adorais la photo, la nature, les gens et il était important que je découvre le chemin par moi-même.
Qu’est-ce qui inspire ton travail de cinéaste ?
J’aime le côté « d’être ensemble ». Cela me donne confiance. Ça permet de discuter et de croiser les regards. En tant que réalisatrice, je me vois un peu comme le capitaine d’un navire qui a besoin de ses matelots. Je ne pourrais pas conduire le bateau toute seule. Je suis au sein d’un collectif d’artistes dans l’audiovisuel et le cinéma et nous faisons des films citoyens, c’est-à-dire « avec les gens ». En « faisant avec », je nourris mon travail de fiction et j’apporte la dimension du vécu à mes réalisations.
Comment as-tu intégré ce vécu et ce « faire ensemble » dans ton premier long métrage La Forêt de mon père ?
La Forêt de mon père n’est pas un film médical ni un documentaire. C’est un film qui part d’un vécu personnel en tant que proche d’une personne malade mais je ne voulais pas en faire un déballage ou une justification. Mon histoire n’est pas que cette facette de ma vie. Ce n’est pas un copié-collé de mon expérience.
Pour faire ce film, j’ai eu besoin de rencontrer les personnes soignées, le personnel médical, les familles pour essayer d’atteindre plus d’universalité et accueillir les expériences des autres. De même pour les comédiens : ceux qui jouent les soignants se sont enrichis du vécu des autres et ils ont tous pu parler avec des personnes du milieu psychiatrique. Mais j’ai toujours souhaité rester dans la fiction et la transformation dès le départ du projet.
Comment abordes-tu la maladie psychique dans La Forêt de mon père ?
La Forêt de mon père est l’histoire d’une famille aimante qui vit en lisière de forêt et dans laquelle la maladie mentale va faire éruption. Le film parle de ces moments où le père passe de la fantaisie à l’étrangeté et où il y a un basculement vers la maladie qui fragilise l’équilibre familial. L’histoire est vue à travers les yeux de sa fille adolescente qui l’admire, Gina, jouée par Léonie Souchaud. Il s’agit donc de parler d’un amour familial qui est mis à mal, qui est dévié par la maladie. L’enjeu est de faire résonner l’expérience des familles qui vivent cette situation.
C’est un film pour faire bouger les lignes et montrer qu’autour des personnes atteintes d’une maladie psychique, il y a une famille et des enfants. On montre les choses telles qu’elles sont, ce n’est pas le monde des bisounours, loin de là…Dans ce vécu, il y a des moments de ras-le-bol mais aussi de l’amour. L’idée est aussi de montrer que le groupe peut collectivement accompagner ceux qui souffrent. Le film n’a pas la prétention d’être à l’intérieur de la personne qui expérimente la psychose mais de partir de son regard aimant au sein de sa famille. J’ai pu, grâce à la fiction, trouver le ton pour raconter cette histoire « avec les autres » et non pas « à propos des autres ».
Le cinéma met souvent en scène la maladie psychique en jouant sur le côté spectaculaire de la « folie ». Tu as voulu t’éloigner de cette dimension pour proposer un autre regard…
C’est un film intime, très simple. On n’est pas du tout dans le fait divers ! La souffrance n’est pas édulcorée mais elle n’est pas non plus exhibée. Dans ce film, j’ai voulu parler de ce qui fait la vie de tous les jours, en y ajoutant une touche poétique avec notamment la présence de la forêt. Avec sincérité et humilité, j’ai aussi voulu dire qu’on fait partie ensemble de cette humanité-là.
La forêt comme élément fort de l’histoire est loin d’être un détail choisi au hasard…
La nature, c’est le répit. La forêt est un refuge. C’est en endroit où le père va pour s’apaiser. Mais c’est aussi un endroit qui peut devenir très inquiétant le soir. La forêt a cette ambivalence. Le film commence d’ailleurs par un arbre de vie…
J’avais envie de montrer qu’il y a des messages très justes chez ceux qui sont atteints de maladie mentale. Tout est à nous ! La forêt, c’est la vie, c’est notre oxygène, c’est fort et en même temps, on peut s’y perdre…Quand on pense aux arbres on pense aussi à leur force et à la lenteur de la sève : c’est une invitation à ralentir…
Quel est le message principal que tu as souhaité faire passer à travers ton premier long métrage La Forêt de mon père ?
Le monde a tout intérêt à ouvrir les yeux sur une réalité autre que dite « normale ». C’est quoi la norme ? Cette « étrangeté » du quotidien, elle existe et c’est ça que j’essaye de défendre : on ne peut pas réduire un individu à une maladie ! Il faut donner des opportunités aux individus d’exprimer toutes les facettes de ce qu’ils sont.
J’ai voulu que mes personnages soient beaux car vivre avec la maladie, ce n’est pas facile…Et je suis fière d’avoir eu les parents que j’ai eus et toutes les rencontres qu’ils m’ont permis de faire…
Je cherche surtout à provoquer des discussions. Discutons ensemble pour que tout le monde puisse vivre ensemble le mieux possible : les patients, leurs familles et leurs enfants qu’on oublie trop souvent…
Un dernier mot pour les spectateurs qui iront voir La Forêt de mon père dès le 8 juillet ?
Ce film est là pour que vous preniez la parole ! Emparez-vous de ce film ! Il est doux, il est chamboulant…C’est un film qui parle d’amour.
La Forêt de mon père sortira en salle le 08 juillet 2020. Vous pouvez voir la bande-annonce ICI. Pour soutenir Vero Cratzborn dans la diffusion de sa première fiction, n’hésitez pas à partager cet article et à en parler autour de vous ! Suivez son aventure sur Facebook:
Propos recueillis par Eva Mazur.
Vos témoignages, vos portraits inspirants
Vous le savez, à l’Optimisme, nous mettons en avant ceux qui œuvrent et s’engagent pour changer la société. Vous êtes nombreux à percevoir la vie de manière atypique et à ressentir des choses considérées comme « hors normes ». Sans jugement, nous accueillons tous vos témoignages. Ils nous permettent de mûrir notre réflexion et de vous proposer des contenus et des évènements en fonction de vos interrogations, de vos besoins et de vos centres d’intérêts. N’hésitez pas à contacter la rédaction à : etsionsouriait@loptimisme.com
Le sujet vous intéresse ?
Nous vous invitons à lire les témoignages de Mademoiselle E. « J’ai pris d’autres chemins que ceux de la psychiatrie » et de Frère Matthieu-Côme – Maladie psychique : la force de la faiblesse