Anne-Séverine MENJON, fondatrice de l’école Talentiel

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Comment accompagner au mieux les enfants dans leurs apprentissages lorsqu’ils ne cadrent pas ou plus avec l’approche de l’Éducation Nationale ? Comment leur redonner confiance pour qu’ils puissent s’épanouir et prendre du plaisir en allant à l’école ?
Rencontre avec Séverine, qui a décidé de « prendre le taureau par les cornes » en créant l’école Talentiel, véritable SAS pour que les enfants précoces en difficulté puissent reprendre confiance en eux.

Séverine, peux-tu te présenter en quelques mots ?

J’ai 47 ans. Je suis maman de deux enfants précoces : cela aura son importance dans mon parcours. Je suis plutôt hyperactive : j’aime chanter, courir, danser, jouer de la guitare et travailler ! Je ne sais pas rester tranquille, je ne sais pas m’ennuyer.

Peux-tu nous dire quelques mots de ton parcours ?

J’ai commencé par des études commerce international, car ce qui m’animait, c’était l’idée de pouvoir voyager à l’étranger… Il y a 25 ans, c’était moins répandu qu’aujourd’hui. Et c’est tout naturellement que je me suis dirigée vers un poste de cadre commercial pour réaliser mon souhait. Cela a duré 5 ans, j’ai adoré mon métier. Puis à la naissance de mon premier fils, je me suis remise en question. La donne avait changé : j’ai choisi de rééquilibrer mon temps entre vie professionnelle et vie personnelle, en restant fidèle à mes valeurs. Je me suis alors orientée vers l’Éducation Nationale. Cela a été une année compliquée entre l’arrivée d’un bébé et la préparation du concours d’institutrice… Mais je l’ai fait !
Et me voilà repartie pour 5 années, au cours desquelles je me suis sentie hors moule, par mon approche et mes initiatives.
Parallèlement à mon expérience, mon fils a commencé à avoir des difficultés et a intégré une école alternative. Puis, mon second fils est né… Et c’est à son entrée à l’école que j’ai eu le déclic : j’allais créer ma propre école.

Et quel a été cet élément déclencheur ?

Mon deuxième fils. A la fin de sa deuxième journée d’école, il m’a dit : « Maman, l’école c’est nul, je n’irai plus ».
J’ai créé l’école pour lui, pour qu’il ne subisse pas l’horreur de l’échec scolaire et tout ce que cela peut engendrer derrière. Bien sûr, mon objectif était de faire pour lui, avec d’autres et pour d’autres.

Quel est ton objectif lorsque tu crées Talentiel ?

Ma priorité absolue en montant cette école : faire en sorte que les enfants précoces en difficulté soient heureux, qu’ils aient confiance en eux et une belle estime d’eux-mêmes. Si ces objectifs sont atteints, les apprentissages suivent. Je suis persuadée qu’il faut être bien dans sa peau pour l’être dans les apprentissages.

Tu parles d’enfants en « difficulté », pourtant, les établissements pour enfants précoces sont souvent associés à une logique élitiste…

C’est vrai, mais ce n’est absolument pas l’objectif de mon école, qui s’adresse aux enfants précoces en souffrance, en décalage avec un système qui ne les comprend pas. Car si la plupart le vivent bien, certains ont du mal à trouver leur place dans un système de masse.
Intégrer Talentiel est un passage qui dure en moyenne deux ans. L’enjeu est de donner à ces enfants les moyens de comprendre comment ils fonctionnent pour qu’ils puissent poursuivre un cursus scolaire « classique ».  Je prône un retour dans le système Éducation Nationale pour tout enfant prêt à y retourner. Pour rendre cela possible, un prérequis : travailler main dans la main avec les familles et suivre l’évolution de l’enfant.

 Qui dit école alternative, dit école payante, quel est ton modèle économique ?

 L’école est intégralement financée via les inscriptions et les frais mensuels payés par les parents. Mettre ses enfants dans une école alternative n’est pas à la portée de tous, c’est aussi pour cela que j’ai réfléchi un modèle qui permette aux enfants de réintégrer l’Éducation Nationale au bout de deux ans en moyenne. En faisant cela, je privilégie le bien-être et la cohésion du parcours de l’enfant. Le modèle économique de l’école reste fragile, j’y suis très vigilante.  Il y a bien quelques élèves qui passent toute leur scolarité chez nous, mais ce n’est pas mon objectif premier.

Une journée type à l’école Talentiel, ça se déroule comment ?

Nous varions beaucoup les activités au cours de la journée.
Le matin, nous formalisons un temps d’accueil et démarrons la journée par une séance de 10-15 mn de brain gym. Très pratiquée en Chine, cette gymnastique du cerveau vise à faire des mouvements pour muscler ses capacités à étudier. L’idée est de connecter les deux hémisphères dès le matin. Il y a des mouvements pour aider à faire cette connexion.
Autre rituel du matin : la production d’écrits libres. Pas de correction des fautes d’orthographe, l’unique vocation de ce temps est de prendre du plaisir à travers l’écriture.
Nous enchainons avec une séquence de mathématiques, à l’aide d’outils que nous avons créés avec l’équipe pédagogique.
Puis, nous passons aux apprentissages plus traditionnels : nous suivons le programme défini par l’Éducation Nationale, que nous travaillons avec nos propres méthodes. En faisant cela, nous nous assurons que les enfants ne sont pas décalés lorsqu’ils quittent Talentiel pour retourner dans le système classique.
Sur les temps de récréation, les enfants choisissent de sortir ou de jouer en intérieur… En fonction de leur état émotionnel et pour éviter les débordements. Nous les responsabilisons.
A midi, chacun apporte son déjeuner, nous consacrons environ trois quarts d’heure au repas, puis trois quarts d’heure de pause libre en intérieur ou extérieur selon les envies de chacun.
L’après-midi est jalonné de temps dédiés au théâtre, à la chorale et à la découverte des arts en général.  Nous faisons aussi beaucoup de cuisine… Et la traditionnelle semaine du goût se transforme souvent en quinzaine dans notre école !
Nous explorons l’Histoire- géo et les sciences en mode projet. Par exemple, cette année, notre projet fil rouge a été « le devoir de mémoire ». Nous avons abordé ce thème au travers de chants, de commémorations… Et les élèves ont même pu prendre un selfie avec le Président !
Enfin, nous avons un cours de socialisation chaque jour… Un des piliers de notre approche pédagogique. On se donne 20 ans pour les maths et le français, mais on attend que les enfants soient sociables à 6 ans !
Nous travaillons tout au long de la journée sur la cohérence cardiaque : en rentrant de récréation et après la pause déjeuner. Cela consiste à apprendre à inspirer et expirer d’une façon lente –pour amener l’enfant à se poser. Selon les périodes et pour éviter la lassitude, nous alternons avec le chi gong (gymnastique traditionnelle chinoise et science de la respiration) ou bien encore la méditation… Le but est de « faire goûter » aux enfants différentes approches, afin de leur permettre de trouver l’outil qui leur convient le mieux pour se recentrer.

L’école va fêter ses 10 ans au mois de septembre.  Tu dois donc avoir un peu de recul sur les suites de parcours…

En effet, nous avons des retours d’anciens élèves qui nous donnent des nouvelles régulièrement. Leur poursuite dans le système scolaire classique se passe bien. Lorsqu’ils quittent Talentiel, ils ont appris à se connaitre, sont en paix avec eux-mêmes et avec les autres. Quelle que soit ton intelligence, si tu ne parviens pas à t’insérer et à communiquer avec les autres, tu n’arrives pas à avancer. Nous essayons donc de leur donner les moyens de comprendre comment ils fonctionnent : sur 40 élèves accueillis, chaque année il nous arrive d’avoir un enfant qui ne se remet pas sur les rails, nous ne prétendons pas faire de miracle.

Une belle réussite ! Comment envisages-tu la suite ?

Mon souhait profond est de poursuivre ce projet et de permettre aux enfants de souffler, de prendre soin d’eux.  J’aurais pu appeler Talentiel, « l’école du bien-être ».
Nous avons démarré en 2008 avec 8 élèves, nous en accueillons aujourd’hui entre 30 et 40 par an. Cela peut paraitre peu, mais pour bien les accompagner, je privilégie un petit effectif et une école à taille humaine.

As-tu le sentiment d’avoir réalisé un rêve en créant cette école ?

Ce n’était pas mon rêve de départ, c’est parti d’un besoin vital de sauver mon enfant. Cependant, grâce à ce projet, j’ai l’impression de donner plus de sens à ma vie et j’ai eu l’immense chance de pouvoir aligner mes valeurs professionnelles et personnelles.

Quelles ont été les choses les plus difficiles à surmonter pour en arriver là ?

C’est extrêmement compliqué de créer une école en France : j’ai mis 9 mois à la créer, je la considère comme mon troisième enfant !
Sans appui politique c’est difficile, d’autant plus qu’il faut montrer patte blanche à l’Éducation nationale.  J’ai connu pas mal de péripéties : notre premier local nous a été retiré. Heureusement, j’avais pensé à faire homologuer ma maison, en tant qu’établissement recevant du public : on ne peut pas fermer une école dans une maison, sauf s’il y a suspicion de dérive sectaire. Je me suis accrochée pour mon fils, il fallait que je trouve une solution.

Une vie réussie, le succès, qu’est-ce que cela signifie pour toi ?

A mes yeux, le succès, c’est ce que je suis en train de faire : avoir la chance d’exercer un métier utile et qui me passionne. Je suis en totale adéquation avec mes valeurs.

Une citation préférée ?

Ne faites pas à un enfant ce qu’il est capable de faire seul ! Il s’agit d’une citation de Rudolf Dreikurs, psychiatre des années 20, collègue d’Alfred Adler, à qui l’on attribue les fondements de la discipline positive.
Faire à la place d’un enfant est une vraie erreur éducative selon moi : on ne l’aide pas à se faire confiance en l’empêchant de faire les choses par lui-même.

Un livre préféré ?

Pas un mais plusieurs : j’aime beaucoup le livre de Laurent Gounelle : Les dieux voyagent toujours incognito et les romans de développement personnel, comme celui de Raphaëlle Giordano : Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une »
J’en aurais bien cité d’autres, mais je ne retiens pas les titres, je suis dans la sensation que le livre m’a procurée.

Des gens qui t’inspirent ?

Mandela,  Gandhi, des figures qui prônent la paix. Amma pour son action humanitaire et sa spiritualité.
Pour suivre l’actualité de Talentiel, vous pouvez vous rendre sur le site en cliquant ici. Vous y retrouverez toutes les informations relatives au fonctionnement de l’école ainsi que les coordonnées d’Anne-Séverine.

A lire aussi…

Pour d’autres interviews de pédagogues engagés, nous vous proposons de lire l’article sur l’école de production de Quiévrechain.

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